LITTÉRATURE

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Biographie

Nancy Huston


Nancy Huston, née le 16 septembre 1953 à Calgary en Alberta au Canada, est une écrivaine franco-canadienne, d'expression anglaise et française, vivant à Paris en France depuis les années 1970.


Nancy Huston a six ans quand ses parents se séparent ; d'après le récit autobiographique Nord perdu, son père obtient la garde des enfants et sa future belle-mère l'amène pendant quelques mois en Allemagne. À quinze ans, sa famille s'installe dans le New Hampshire aux États-Unis. Elle fait ensuite ses études universitaires à Victoria en Colombie-Britannique, à Cambridge dans le Massachusetts et à New York, puis part habiter au Venezuela pendant plus de trois ans.

À l'âge de vingt ans, elle arrive à Paris pour poursuivre ses études puis décide de s'y installer. Elle travaille à un mémoire sur les jurons à l'École des hautes études en sciences sociales sous la direction de Roland Barthes, participant dans le même temps au mouvement des femmes et publiant dans des revues et journaux qui y sont liés, notamment Sorcières, Histoires d'Elles et les Cahiers du Grif. Elle reste toujours une militante des droits des femmes notamment dans ses écrits et surtout par de fréquents articles de presse et tribunes.

Sa carrière de romancière débute en 1981 avec Les Variations Goldberg. Douze ans plus tard, avec Cantique des plaines, elle revient pour la première fois à sa langue maternelle et à son pays d'origine. Comme le roman est refusé par les éditeurs anglophones, elle se résigne à le traduire en français et s'aperçoit que la traduction améliore l'original. Depuis, elle utilise cette technique de double écriture pour tous ses romans, se servant exclusivement du français pour ses essais et articles.

Nancy Huston est également musicienne, jouant du piano, de la flûte et du clavecin. La musique est une source d'inspiration pour plusieurs de ses romans, et elle fait souvent des lectures en musique avec des amis chanteurs ou instrumentistes.

Depuis 1981, elle est l'épouse de l'écrivain, linguiste et sémiologue français d'origine bulgare Tzvetan Todorov.



Lignes de faille

Lignes de faille met en perspective quatre moments de l'existence de quatre membres d'une même famille, avec un même repère fixe la sixième année de chacun.

Le roman débute en 2004 par Sol, petit garçon californien et fils de Randall. Sol est pris dans la violence de son pays en "guerre contre le terrorisme" et en pleine mutation technologique.

Puis vient le tour de Randall qui en 1982 part avec sa famille s'installer en Israël
pour les besoins des recherches de Sadie sa mère, juive pratiquante qui tente de tracer l'histoire de sa famille, et en particulier de sa propre mère Kristina, dite Erra.

Suit l'histoire de Sadie qui à six ans, en 1962, vit avec ses grands parents
à Toronto. Sadie ne rêve que d'une chose c'est que sa très jeune maman, Erra qui devient une chanteuse reconnue, vienne s'occuper d'elle et la délivrer de la langueur de sa vie.

Enfin le roman se termine par la sixième année de Kristina-Erra en 1944 dans une Allemagne battue et ravagée par la guerre et ses horreurs. Kristina vit dans une famille où les hommes sont au front et où de lourds secrets règnent.

Nancy Huston dans ce roman reprend, dans un exercice de style sur le temps et sur le langage des narrateurs successifs, ses thèmes favoris de l'enfance et de la filiation, du sentiment maternel, de l'héritage familial et historique. Toujours sensible et délicate dans les paroxysmes émotionnels, elle déroule une saga en permanence sur le fil, sur une faille.


Lignes de faille



Entre un jeune Californien du XXIe siècle et une fillette allemande des années 1940, rien de commun si ce n'est le sang. Pourtant, de l'arrière-grand-mère au petit garçon, chaque génération subit les séismes politiques ou intimes déclenchés par la génération précédente.
Tous les narrateurs (les quatre personnages) sont des enfants agés de six à sept ans, avec toutes les par
ticularités langagières et comportementales que cela suppose...

Chacun d'entre eux rend compte d'une guerre : seconde guerre mondiale, guerre froide, conflit israelo-palestinien ou guerre en Irak. À partir des extraits ci-dessous, retrouve chaque époque :


                                     Pendant la bénédicité il demande à Dieu de protéger père et mère et Lothar de l'ennemi et ça me gène parce qu'il y a sûrement des familles en Russie qui lui demandent de protéger leurs hommes de l'ennemi sauf que quand ils disent l'ennemi ils parlent de nous, et à l'église quand le prêtre dit qu'il faut prier pour Hitler je pense aux gens dans les églises russes qui prient pour leur Guide à eux et je peux imaginer le pauvre Dieu qui, là-haut dans les nuages, se prend la tête dans les mains et essaie de faire plaisir à tout le monde et se rend compte que ne c'est tout simplement pas possible.
   Dieu m’a donné ce corps et cet esprit et je dois en prendre le meilleur soin possible pour en tirer le meilleur bénéfice. Je sais qu’il a de grands desseins pour moi, sinon il ne m’aurait pas fait naître dans l’Etat le plus riche du pays le plus riche du monde, doté du système d’armement le plus performant, capable d’anéantir l’espèce humaine en un clin d’œil. Heureusement que Dieu et le président Bush sont de bons amis. Je pense au paradis comme à un grand Etat du Texas dans le ciel, avec Dieu qui se balade sur son ranch en Stetson et en bottes de cow-boy, vérifiant que tout est sous contrôle, canardant une planète de temps à autre pour s’amuser.
   L'influence de ma grand-mère sur ma vie s'arrête là parce que par bonheur elle habite loin de chez nous en Israël et je ne la vois presque jamais. Je dis par bonheur parce que mon père ne l'aime pas beaucoup mais en même temps elle lui fait peur et il n'ose pas vraiment lui tenir tête, alors il y a pas mal de tension chaque fois qu'elle vient chez nous en visite ce qui bouleverse ma mère. Dès que mamie Sadie a le dos tourné, papa devient soudain courageux et se met à la critiquer parce qu'elle aime tellement donner des ordres et se mêler de ce qui ne la regarde pas. Une fois il a même dit que c'était la faute de sa mère si Aron son père bien-aimé, qui était un dramaturge raté, est mort à l'âge de quarante-neuf ans ; maman a dit que c'était absurde, qu'Aron avait été tué par les cigarettes et non par son épouse, mais papa a dit qu'il y avait un lien bien connu entre le cancer et la colère refoulée, ce dont je ne suis pas sûr ce que ça veut dire, refoulé.
Mon père a vécu en Israël l
ui aussi quand il avait mon âge et il a tellement aimé la ville de Haïfa que de tous les endroits possibles où habiter aux Etats-Unis il a choisi la Californie parce que les eucalyptus et les palmiers et les orangeraies et les buissons à fleurs lui rappelaient le bon vieux temps. C'est aussi en Israël qu'il a commencé à ne pas aimer les Arabes à cause d'une petite fille arabe dont il s'est entiché là-bas, mais je ne sais pas ce qui s'est passé parce que chaque fois qu'il aborde le sujet il devient complètement crispé et taciturne, même pour maman c'est un mystère l'histoire de cet amour de jeunesse.
   
   
Chacun d'eux porte un regard sur l'évolution du monde, sur l'autre, sur la famille, le rapport à la religion ou encore l'éveil aux désirs et à la sexualité.

Le rapport au monde évolue en cinquante ans (moyens de communications, lieux géographiques, etc.) mais le regard des personnages demeure tourné vers ces grandes thématiques structurantes, témoignant au passage de l'évolution des moeurs ou des progrès techniques, mais aussi de l'universalité du regard-enfant



Lignes de faille : les enfants volés

L'inspiration de cet ouvrage est venu à Nancy Huston à la suite de la lecture d’un ouvrage sur les enfants volés pendant la guerre, et dont l’auteur avait travaillé à l’Onu. A partir de 1945, l’organisation a reçu des milliers de lettres de familles ayant perdu un fils ou une fille. Ceux-ci avaient été enlevés pour repeupler l’Allemagne. Il y a eu comme cela 250000 disparitions. Sur l'écriture, elle explique qu'elle a commencé ce récit par la fin. "C’est une sorte de roman psychanalytique qui remonte à l’enfance pour comprendre le comportement des gens. Tout est la faute de mon père, mais, si je mets mon père sur le divan, ce sera la faute de sa mère, etc. Je crois, que dans toutes les familles, il y a des secrets, des dégâts." Le choix des enfants comme narrateurs l'a particulièrement intéressé car "Enfant, on absorbe les premières impressions du grand monde politique alors que l’on n’est pas encore rationnel.", explique t'elle. "A cet âge-là, tout baigne dans l’émotion, la peur… Les petits Palestiniens ne sont pas en train de faire une analyse politique de la situation, mais ils voient des adultes dépassés par ce qui se déroule autour d’eux. C’est comme cela qu’on construit les extrémistes de demain."